Dans les coulisses de la couverture de "La Gloire pour tout le monde"
- annesophienedelec
- 22 oct.
- 5 min de lecture
L’art de la première impression
Créer une couverture, c’est un peu comme écrire une pièce : on tâtonne, on cherche le ton juste, la bonne image, le symbole qui dira tout sans en dire trop.
Une couverture, c’est bien plus qu’un simple habillage : c’est la première rencontre entre un livre et son lecteur. Avant même qu’un mot ne soit lu, elle suggère une atmosphère, une émotion, une promesse. Elle doit à la fois refléter l’âme du texte et éveiller la curiosité, dire sans trop en dire. Trouver l’équilibre entre beauté graphique et justesse symbolique, c’est tout un art : celui de traduire en image une histoire, une idée, un univers.

Pour La Gloire pour tout le monde, j’ai voulu une couverture qui porte le sens profond du texte : celui d’une guerre vécue à hauteur d’humanité, d’un combat collectif où les femmes se sont imposées, avec leur part d’ombre, de courage et de gloire.
Premiers essais : la piste des silhouettes

Le tout premier visuel évoquait une approche symbolique et presque intemporelle : quatre silhouettes féminines, chacune représentant une figure du courage au féminin – la paysanne, l’ouvrière, l’infirmière, l’espionne.
J’aimais la sobriété du sépia (qui évoquait le passé, comme le papier d’un article de presse un peu vieilli) ou du bleu (le bleu horizon des uniformes de l’époque) et l’hommage rendu à toutes ces femmes de l’arrière, souvent invisibles dans les récits de guerre.
Mais quelque chose manquait : la matière, la tension, la vie. Le graphisme était poétique, mais peut-être trop "sage" pour refléter la force de la pièce. Une remarque de ma sœur graphiste a définitivement balayé ce projet : "On dirait un visuel pour une Bible pour enfants", lol !
Deuxième étape : retour aux objets, à la mémoire tangible

La couverture suivante est née d’un retour aux sources. Elle reprend un élément de l’affiche du spectacle au moment de la création de la pièce : une main posée sur un casque bleu.
J’aimais cette image pour sa simplicité et son humanité. La main dit tout : la tendresse, la peur, la présence. Mais graphiquement, la composition restait un peu terne, l’image coupée, n'était pas "propre".
J’ai alors fait des recherches pour créer une image dans la même veine, plus réaliste : un casque Adrian posé sur un drapeau, entouré de balles et d’un fusil. Cette version ancrée dans le concret avait une force documentaire, presque historique. Elle évoquait l’héritage, la mémoire, la guerre dans ce qu’elle a de brut. Mais elle plaçait le propos du côté des soldats, et non des femmes — alors que la pièce, justement, leur redonne la parole.
Et si on s’ancrait dans le documentaire ?

Un peu perdue, je me suis replongée dans les archives. Rapidement, je me suis rendu compte que ne voulais pas d’un patchwork de photos d’époque, qui aurait fourni une couverture un peu brouillonne. Mais une photo m’a tapé dans l’œil : un hangar rempli d’obus. Je lui ai appliqué un filtre tirant vers le jaune, comme cette poussière qui couvrait les munitionnettes et leur a valu le surnom de "filles aux mains jaunes".
Mais l’image n’était pas très vendeuse, et qui plus est, je craignais qu’elle ne soit pas libre de droits.
Puis est venue l’idée du rouge à lèvres…

C’est à ce moment-là qu’est née la proposition du visuel suivant, sur une idée de mon mari : une rangée de balles alignées, parmi lesquelles se glisse un tube de rouge à lèvres. Tout à coup, le propos prenait sens : le contraste entre guerre et féminité, entre violence et résistance, entre destruction et affirmation de soi. Ce visuel disait tout sans montrer la guerre : il parlait de femmes, d’apparence, de courage, de survie, d’ironie aussi.
Le fond blanc lui donnait de la clarté, mais manquait peut-être de densité.
La version suivante a donc pris une teinte rouge profond.Ce fond évoque le sang, la passion, la colère, mais aussi la vitalité et la puissance. Il donne au rouge à lèvres central une intensité nouvelle, tout en maintenant la symétrie graphique et la sobriété du concept initial.
L’avis des réseaux
Un peu perdue au milieu de toutes ces esquisses, j’ai publié un sondage sur les réseaux sociaux… et rien de net ne s’est distingué. De mon côté, je n’étais convaincue par aucune, et je sais ô combien la qualité de la couverture est déterminante pour déclencher l’intérêt des lecteurs. Comme je suis du genre perfectionniste et un brin acharnée, j’ai continué à chercher des idées…
L’évidence du monument

C’est alors que mon mari — encore lui, c’est un génie, il aurait dû travailler dans la pub ! — m’a soufflé l’idée du monument aux morts adapté aux femmes. Aussitôt, l’image s’est imposée comme une évidence.
Sauf que pour y parvenir, il me fallait l’aide de l’IA. J’ai donc cherché une image de monument aux morts, masculin (ils le sont tous, parfois avec une femme éplorée à sa base !) dans un style dynamique, avec du mouvement. J’ai ensuite demandé à l’IA de remplacer les hommes par des femmes : une paysanne, une ouvrière, une infirmière et une espionne. Ces quatre femmes, figées dans la pierre d’un monument aux morts, m’ont bouleversée. Chacune avance, tendue vers l’avant, unie aux autres dans un même élan. Elles incarnent les femmes de l’ombre, celles qu’on a trop souvent oubliées. La patine de la pierre, le geste suspendu, la détermination de leurs visages : tout racontait la force du collectif, la grandeur dans la douleur, la gloire sans éclat.
Je me suis retrouvée avec une femme à trois bras, un bâton dans la main de l’infirmière, des jupes trop courtes pour l’époque et aucun obus! J’ai obtenu en bataillant que l’IA rallonge les jupes et ajoute un obus mais impossible de lui faire retirer le bras en trop et le bâton. En passant l’image sous Canva et en travaillant avec la gomme, j’ai pu retirer les éléments disgracieux et placer l’obus dans la bonne main !
J’ai ensuite tiré la patine de la pierre du gris vers le brun, plus lumineux, et ajouté une fumée rouge à la base. Ce dégradé rouge qui monte comme un gaz toxique évoque à la fois le sang, la ferveur, la vie qui prend le dessus. C’est la couleur de la lutte, mais aussi celle du courage et de la passion — cette énergie vitale qui irrigue toute la pièce.
Ne restait plus qu’à ajouter les titres et la 4e de couverture.
Un souci demeurait : une marque au niveau de la délimitation de l’image de fumée que j’avais utilisée. Je ne m’en serais pas sortie sans ma sœur qui, non seulement m’a guidée tout au long du processus, mais a réglé le problème d’un coup de Photoshop !
Avec cette image, tout s’est aligné. La couverture rend hommage à ces femmes de tous les temps, anonymes et héroïques à la fois, qui ont tenu bon quand le monde vacillait. La Gloire pour tout le monde leur donne enfin la place qu’elles méritent : sur le piédestal de la mémoire.




Bravo pour cette belle réalisation avec les outils du 21e siècle... Hâte de découvrir en vrai cette belle couverture.